Otages, ô désespoir...

Otages, ô désespoir...

Ah, ces malheureux journalistes ! On veut parler de ceux que les talibans ont cruellement renvoyés dans leur foyer, après leur avoir offert un an et demi de vacances de rêve dans les montagnes afghanes. Des lieux fascinants et des hommes qui ne le sont pas moins, si l’on se réfère au récit de L’Usage du monde  : soixante ans après le périple de Nicolas Bouvier, il est probable que pas grand-chose n’ait changé dans ces contrées. A l’exception des dommages infligés à la terre, aux occupants et à leurs œuvres, par une nouvelle nuée d’envahisseurs, armés de leur quincaillerie sophistiquée et d’un messianisme démocratique un peu blet. La coalition américaniste n’a manifestement pas tiré la leçon de la déroute que subirent avant elle, et dans les mêmes lieux, les armées soviétiques. Pas plus que le Kremlin d’alors ne prit au sérieux l’échec antérieur des armées britanniques, bien qu’elles fussent à l’époque les plus redoutables de la planète. Bref, le guerrier afghan ne porte pas sur lui l’armement d’un contre-torpilleur, comme son homologue yankee, mais il continue de triompher de la technologie guerrière qui a rendues ailleurs invincibles les armées occidentales. Chapeau.

Ainsi donc, nos deux libérés subissent le cérémonial désormais réservé à tout journaliste revenant de captivité : celui de héros de l’information. Même si, à en juger aux commentaires de la presse du jour, cette gloire leur paraît notablement surfaite. Mais sans doute leur a-t-on recommandé de jouer le jeu convenu et de ravaler leur humilité. Détenus sans violences ni menaces, l’épreuve la plus lourde aura été pour eux de tromper la solitude et l’ennui. Et aussi la crasse, si l’on en croit la relation du Figaro : « Les deux hommes ont pu prendre mercredi une douche, et ont reçu des habits blancs traditionnels de la part de leurs ravisseurs. ‘‘Là, on s’est dit que c’était bon’’ ». Suspense. On admet volontiers que ce devait « être bon » : une seule douche en un an et demi, voilà qui permet de mieux mesurer toute l’horreur de la situation, pour des grands reporters qui parviennent souvent à se doucher une fois par semaine. Bon, trêve d’ironie. Sans vouloir minimiser l’angoisse légitime des détenus, on a un peu de peine à appréhender l’intensité dramatique d’une narrative tout hollywoodienne. Sans vouloir négliger leurs souffrances morales, on voudrait rappeler que cette guerre, critiquable dans ses motivations – pour ne pas dire plus –, a fait quantité de victimes que la glorieuse information a pieusement enfouies dans la tombe de l’oubli. Ce serait peut-être raisonnable, pour une fois au moins, de ramener les choses à de plus justes proportions.

La recette du jour

La guerre et la gloire

Vous êtes fasciné par l’aventure militaire. Mais le métier de soldat présente quelques dangers pour la santé. Devenez correspondant de guerre : l’agression des journalistes demeure taboue sur les lieux de conflits. Si vous êtes pris, attendez patiemment le paiement de la rançon. Car vous avez lu Le Cid. Et vous savez qu’à perdre sans péril, vous gagnerez la gloire.

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