Les salaires plombés

Les salaires plombés

Il y a des jours où l’actualité matinale vous impose des interrogations existentielles. Comme celle-ci : pour un immigré sans papiers, est-il préférable d’ensacher au Texas des engrais au nitrate, ou de cueillir dans le Péloponnèse des fraises aux pesticides ? En termes d’exigence physique, ce doit être kif-kif au vu des cadences qui sont imposées ; en termes d’exposition aux produits dangereux, c’est également assez voisin, sauf que les fraises ne dégagent pas de gaz explosifs – du moins pas avant d’être consommées ; en termes de considération, il n’y a guère de différence : les métèques constituent, partout dans le monde, une main d’œuvre propice à l’exploitation sans ménagements. Et les salaires servis ressemblent davantage à des pourboires : 20 euros aux cueilleurs de fraises grecques, pour des journées de 10 à 15 heures de travail. Et encore, quand les rémunérations sont versées : pour avoir réclamé le paiement de six mois de souffrances en souffrance, des immigrés bangladais se sont vu servir une volée de plomb par leur employeur grec. Résultat : une vingtaine de blessés à l’hôpital, dont quelques uns dans un état critique. On se plaignait autrefois de ceux qui payaient à la fronde ; on doit déplorer aujourd’hui ceux qui paient au fusil de chasse.

Les Athéniens de la Grèce antique traitaient beaucoup mieux leurs esclaves. Mais c’était bien avant que ne s’imposent les règles de fonctionnement d’un marché du travail moderne. L’exemple grec offre une métaphore saisissante des outrances barbares auxquelles conduit le culte intégriste de la « compétitivité », dans une indifférence générale qui préjuge mal des lendemains de nos sociétés. La presse mondiale a produit des hectares de commentaires sur l’attentat de Boston et sur l’arme de destruction massive qu’est la cocotte-minute. Le FBI a même promis d’aller enquêter « jusqu’au bout de la terre » pour dénicher les coupables – qui se trouvent probablement au bistrot d’à côté. Dans le cas du carnage grec, on reste stupéfait par la retenue des commentateurs étrangers. La palme de la litote cucul la praline revient aujourd’hui au Figaro : « Les autorités sont très préoccupées par cette affaire et une enquête a immédiatement été lancée ». On est rassuré de savoir que les autorités soient « préoccupées » par ce nouveau mode de gestion d’entreprise, consistant à abattre les employés avant la date de la paie. Cela mérite en effet de lancer une « enquête ». Sans tarder.

La recette du jour

DRH à la grecque

C’est la crise et vous stressez chaque mois pour l’échéance de la paie. Engagez comme DRH un producteur de fraises du Péloponnèse. Il vous règlera le problème au calibre 12. Soyez prudent toutefois : les autorités pourraient être préoccupées par votre gestion compétitive. Et diligenter une enquête sanitaire sur la qualité du plomb.

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