La controverse des (...)

La controverse des 90%

Connaissez-vous Reinhart & Rogoff ? Non, ce n’est pas un cabinet de fiscalistes genevois, ni une marque de cigares. Ce sont deux économistes américains qui se sont illustrés en diverses occasions. Le second a été un joueur d’échecs de très haut niveau, qui a exercé ses talents de stratège comme économiste en chef au FMI – c’est lui qui a croisé le fer avec Stiglitz, lorsque le Nobel se répandit en critiques assassines contre le Fonds. Quant à Reinhart, née Carmen Castellanos à La Havane, elle est une spécialiste reconnue des questions monétaires et des crises bancaires. C’est ce dernier thème qui a réuni les deux compères dans la rédaction de This Time is different, un essai qui a connu jusque chez nous un beau succès pour un sujet aussi austère : huit siècles des mêmes erreurs dans la survenance des crises financières. Mais c’est surtout un article commun, publié en janvier 2010, qui leur vaut une notoriété mondiale. Lequel démontre que lorsque l’endettement public atteint 90% du PIB, la croissance du pays est anesthésiée. Le théorème de R&R est ainsi devenu le pilier théorique des politiques d’austérité qui sévissent dans les pays surendettés, ou en voie de le devenir – c’est-à-dire presque partout dans le monde.

Pour arriver à leur conclusion, les deux enseignants d’Harvard ont compilé les statistiques depuis la fin de la Deuxième guerre. Cela ne signifie aucunement que le contexte présent soit comparable à celui du passé, convenons-en. Mais bon, on ne sait pas faire autrement. Seulement voilà : nos chercheurs se sont un peu emmêlé les pinceaux dans le formatage de leur tableau Excel. Une erreur de calcul que n’ont pas manqué de relever trois de leurs confrères, qui se sont empressés de le faire savoir. De fait, le bug ne remet pas en cause la cohérence de leurs conclusions, qui est phase avec le bon sens – une fois n’est pas coutume. Mais c’est une occasion inespérée, pour la sphère politique, de brandir des arguments « scientifiques » pour repousser aux calendes grecques les douleurs du désendettement. On attend donc avec impatience les corrections du modèle R&R, qui vont peut-être repousser le seuil du danger de 90% à 120%, voire 150% du PIB. Se trouvera ainsi confirmée et amplifiée la thèse des deux économistes sur le sellette : non seulement les mêmes erreurs se reproduisent avec constance, mais elles ont tendance à s’amplifier.

La recette du jour

La faute à Euclide

Vous êtes confronté à une situation périlleuse : vos dépenses excédant régulièrement vos recettes, nous ne pourrez bientôt plus honorer vos dettes. Réagissez. Contestez la pertinence des résultats de votre calculette ou de votre tableur Excel. Si votre procès contre Hewlett Packard et Microsoft est infructueux, assignez Euclide en justice : c’est un peu de sa faute si deux et deux font quatre.

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