Chômeurs et moutons (...)

Chômeurs et moutons noirs

Pas étonnant que les statistiques du chômage soient mauvaises. On savait déjà que les emplois industriels ont filé en Asie et en Europe de l’Est ; les services comptables en Inde ; les plateformes téléphoniques en Afrique ; les blanchisseries industrielles à Chypre – enfin, avant que la Troïka n’engage la grande lessive des paradis. Et les « services de proximité » deviennent inaccessibles au pékin : il faut désormais exhiber un solide cursus universitaire pour briguer un poste de caissière en supermarché, ou être ingénieur des Arts et métiers pour surveiller les caisses robotisées. Même les métiers les plus humbles sont sinistrés : tous les cireurs de pompes sont dans les cabinets ministériels, et ils ont fait l’X, Normale Sup et l’ENA pour y accéder. L’emploi salarié devient réellement hyper-sélectif. Voilà maintenant que la protection de l’environnement, que l’on a présentée comme un vivier inépuisable d’emplois, promet d’accroître la population des chômeurs. Non, ni les Chinois, ni les Bulgares, ni les Indiens ne sont en cause. Pas plus que les automates chypriotes ou énarques. Le grand responsable est une espèce d’ovis aries que quelques inconscients ont sauvée de l’extinction : le mouton d’Ouessant.

Personne ne connaît vraiment le pédigrée de cette race ovine, qui était récemment encore promise à disparition. Car les animaux sont de petite taille, si bien qu’ils produisent à-peu-près autant de viande qu’une dinde anorexique. Et leur laine est ordinairement noire, ce qui est un casse-tête pour les teinturiers. Autant dire qu’ils sont très mal notés sur l’échelle de compétitivité du père Gallois. Mais l’animal est plutôt sympa et d’une constitution robuste : sous nos latitudes, il peut vivre en extérieur toute l’année, sans périr ni rechigner. En foi de quoi a-t-il été promu au rang de tondeur de gazon : plus affectueux qu’un tracteur de compagnie, plus économe en carburant, plus autonome, moins bruyant et moins polluant – si l’on fait abstraction de la crotte de bique. Ainsi la Ville de Paris a-t-elle décidé de remplacer ses jardiniers-tondeurs par des moutons noirs. Lesquels vont assurément apporter une touche écolo aux prairies de la capitale et alléger le budget d’entretien de la Mairie. Encore que les économies prévisionnelles ne s’élèvent qu’à 25% - sans intégrer les dégâts à attendre des béliers d’Ouessant, plutôt teigneux, quand ils auront chargé quelques passants innocents. En tout cas, cette décision prétendument inspirée constitue un signal inquiétant pour l’emploi futur. Les chômeurs savent maintenant que pour mériter un poste, ils doivent réduire d’un quart leurs prétentions salariales, consentir à se faire tondre régulièrement et accepter l’équarrissage quand ils auront perdu l’appétit. Ce n’est pas gai, Paris.

La recette du jour

Zoo écolo

Vous êtes un bobo qui s’assume et donc sensible à la protection de l’environnement. Choisissez un chameau comme gardien d’immeuble : il blatère autant qu’une concierge mais consomme beaucoup moins. Engazonnez vos parquets et échangez votre chat persan contre un mouton d’Ouessant : avec sa laine vous ferez des tapis. Et avec ses gigots un méchoui.

deconnecte