Cadeaux empoisonnés

Cadeaux empoisonnés

Pour les Chefs d’Etat, les voyages officiels sont probablement une corvée. Mais bon, même s’ils ne servent à rien (les voyages, s’entend, pas les présidents), ils font partie du job, avec la litanie de tapis rouges, de défilés cérémonieux, de discours convenus, de dîners d’apparat et de pastilles pour le foie. Mais l’épreuve la plus redoutable est sans doute celle des cadeaux. Longtemps, les contrées lointaines ont aimé offrir à la France des animaux exotiques. De Gaulle fut crédité de quelques lions, singes, gazelles et autres perroquets, mais personne ne lui offrit un veau – il en avait chez lui à foison. Mao offrit à Pompidou un couple de pandas, qui s’avéra être constitué de deux mâles. L’un d’entre eux, résolument hétérosexuel, mourut de honte peu après : c’était bien avant l’époque du mariage pour tous. Rajiv Ghandi gratifia Mitterrand d’une jeune éléphante, qui fut présentée aux Parisiens, attifée comme une courtisane, au premier étage de la Tour Eiffel. Elle réchappa miraculeusement au ridicule de l’épreuve : en ce temps-là, les éléphants avaient la couenne épaisse (qu’ils fussent nés en Inde ou au PS). Tel ne fut pas le cas du lionceau que Moussa Traore offrit à Giscard d’Estaing : il mourut quelques mois plus tard (le lionceau, s’entend, pas Giscard). Tout cela pour en venir à ceci : les cadeaux officiels sont un fardeau, et ceux du Mali portent la poisse.

La preuve : voilà peu de temps, notre Président a honoré de sa visite la République du Mali, après avoir prêté au pays quelques cohortes de valeureux soldats. En signe de reconnaissance, le Chef d’Etat intérimaire, Dioncounda Traoré, lui a offert un présent très apprécié dans ces contrées : un chameau. En Afrique, c’est l’unité de compte de la dot – vous voyez d’ici le symbole subtil. Seulement, il y avait un problème. Non, l’animal n’avait pas un compte en Suisse. Mais il était sans papiers, ce qui est beaucoup plus grave. De plus, l’avion de notre Président est certes spacieux et confortable, mais il ne comporte pas d’écurie. Donc, pas de transfert possible (du chameau, s’entend, pas du Président : décidément, vous ne comprenez rien, aujourd’hui). Pour prévenir toute complication, il fut décidé d’offrir l’animal à une famille locale. C’était généreux. Mais voilà : aux dernières nouvelles, les heureux bénéficiaires ont décidé de passer le vaisseau du désert à la casserole. Au Quai d’Orsay, on craint qu’ils ne l’aient cuisiné en lasagnes pur bœuf. Qu’à Dieu ne plaise : au vu de l’énervement actuel de l’opinion française, ce serait assurément considéré comme une affaire d’Etat. Mais en ces temps peu shakespeariens, aucun monarque ne sacrifierait son royaume pour un chameau. Quand bien même eût-il été offert au Parlement par le Lot-et-Garonne.

La recette du jour

Chameau à la Al-Qaïda

Réserver un chameau à l’Ambassade du Mali (service boucherie). Le farcir de cartouchières de pruneaux (calibre 75) et de grenades pelées et dégoupillées ; lier la farce de quelques canons de chablis (pour son goût de pierre à fusil). Brider au fil barbelé et enfourner au cul d’un réacteur de Rafale. Dès que le pilote mettra le contact, le chameau sera cuit. Le pilote aussi. Balayez le tarmac et prenez la poudre d’escampette.

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