Beati pauperes

Beati pauperes

Ah, le quotidien devient de plus en plus difficile. Voire de plus en plus dangereux. Mais bon, c’est le prix à payer pour l’adoption universelle de l’american way of life : un mode de vie où l’individu se bat contre tout le monde et par tous les moyens, réglo ou sulfureux, pour empiler le maximum d’argent. Et fortune faite, tous les autres le combattent par tous les moyens, licites ou crapuleux, pour lui piquer son fric. Une sorte de guerre civile permanente. Féroce et meurtrière. Beati pauperes - oui, heureux les pauvres : ils ne savent pas à quel point leur existence est cool. Voyez par exemple les oligarques russes : après avoir fait fortune en dépouillant leur pays, certains disparaissent prématurément à Londres, ruinés par leurs homologues, leurs ex-épouses, les frais de justice et les remords tardifs. D’autres se font tondre par la Troïka sur leurs avoirs imprudemment confiés aux banques chypriotes, lesquelles viennent d’être converties à l’ascèse franciscaine par l’Inquisition européenne. Les représailles orthodoxes ne devraient pas tarder.

Les dangers sont partout. Imaginez que vous honoriez votre rendez-vous annuel avec une lointaine cousine, une vieille dame réputée pour son sens de la famille et son habitude de glisser une petite pièce dans la main du visiteur. Eh bien, si vous êtes crédité d’une certaine notoriété, vous encourrez le risque d’une procédure pour abus de faiblesse, au motif que votre aïeule est légèrement timbrée – ce qui est certes plausible, mais, grands dieux, qui ne l’est pas un peu de nos jours ? Seulement voilà : personne ne s’intéresse aux mamies zinzin, si elles sont pauvres et anonymes. Beati pauperes. Pire encore : imaginez que vous soyez un honorable négociant de drogue. Et que vous louiez votre jet privé quand vous n’en avez pas l’usage – il faut bien amortir la facture de kérosène. Eh bien, pendant que vous aurez le dos tourné, un sauvageon se fera pincer avec votre zinc pour trafic de lunettes – des colombiennes, les plus prisées. Bien sûr, vous n’êtes pour rien sur le coup. Mais avec le phénomène de la réfraction médiatique, un effet d’optique bien connu dans le business, c’est sur votre pomme que se posera la loupe de l’information. Alors que jamais vous n’oseriez zyeuter le trafic lunetier : on le dit aux mains d’un puissant cartel réputé pour sa férocité. Vous n’êtes pas fou, tout de même.

La recette du jour

Fortune et discrétion

Vous êtes un oligarque russe qui a fait fortune en restant éveillé quand les autres roupillaient. Savourez vos succès dans la discrétion et abusez de la sieste. Ne louez ni vos limousines, ni votre yacht, ni vos résidences palatines : vous risqueriez de vous commettre avec de petits malandrins. Et ternir votre réputation de caïd.

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