Le « démultiplicateur (...)

Le « démultiplicateur » keynésien en action

Les recettes favorites des néolibéraux et des keynésiens sont désormais improductives. Et les prévisions de croissance relèvent de la divination. Pire encore : les économistes découvrent le « démultiplicateur » keynésien. Qui mesure la baisse du PIB résultant de la réduction des dépenses publiques.

Les prévisions économiques sont sujettes à un scepticisme inlassable, pour de justes motifs : les faits les démentent trop souvent, et quelquefois dans des proportions spectaculaires. Pourtant, en dépit de leur médiocre qualité prédictive, elles continuent de monopoliser des cohortes de spécialistes et des budgets pharaoniques. La croyance commune étant qu’à force de sophistiquer les modèles économétriques et de compiler de nouvelles séries statistiques, on finira bien un jour par comprendre l’essentiel de l’alchimie mystérieuse de l’activité humaine. Et donc d’anticiper, avec une précision honorable, la production future de richesses, paramètre indispensable aux décideurs publics pour étalonner leurs projets de budget. Ainsi que décider des mesures susceptibles de doper l’économie anémiée, ou de la ralentir en cas de surchauffe – un cas de figure qui ne s’est hélas pas présenté chez nous depuis longtemps.

Bien que les thèses néolibérales se soient imposées dans une large partie du monde, et que l’intervention étatique soit désormais perçue comme une entrave à la prospérité générale, aucun Etat n’a encore renoncé aux bienfaits supposés des stimuli par la dépense publique. Bien que « l’économie de l’offre », autrement appelée « reaganomics », ait triomphé dans le processus de globalisation, l’économie de la demande n’a pas été totalement apostasiée. Même les Etats-Unis y recourent régulièrement, cumulant ainsi la hausse des dépenses keynésiennes et la baisse des recettes reaganienne (par la forte réduction de la pression fiscale). Il en résulte aujourd’hui une situation calamiteuse des finances publiques, et pas seulement chez l’Oncle Sam.

Il s’avère que les deux approches concurrentes présentent aujourd’hui les mêmes défauts majeurs : elles sont globalement inopérantes. La tendance planétaire à la réduction de la fiscalité, tant pour les entreprises que pour les particuliers, n’a pas constitué le terreau attendu pour la croissance. Au contraire, elle a accentué les inégalités de revenus : minoré ceux des populations qui dépensent l’essentiel de leurs ressources, et fortement accru ceux des plus fortunés, contraints de consacrer leurs excédents à la spéculation – faute d’emploi plus prometteur. Parallèlement, le fameux multiplicateur keynésien, autrefois performant, a désormais perdu l’essentiel de son allant : 1 euro de dépense publique supplémentaire génère à peine plus d’un euro de PIB, et encore n’est-on pas tout-à-fait sûr de ce palmarès. Heureux temps que celui de l’après-guerre, où la dépense publique produisait 6 à 7 fois plus de richesses. Ces techniques ressemblent aux antibiotiques : après un emploi massif et récurrent, elles deviennent totalement inefficaces. Voire dangereuses.

Improbables prévisions budgétaires

Voici des décennies que la dépense publique n’a cessé de croître dans tous les pays du monde. Et plus que proportionnellement à la richesse produite, depuis pas mal de temps. Maintenant qu’est venu le temps de la parcimonie, les économistes doivent opérer une autre forme de prévision : anticiper l’impact sur la croissance de toute baisse de la dépense publique. Un exercice totalement nouveau. Il en est résulté un consensus établi de façon probablement pifométrique : 1 euro de dépense en moins serait responsable de 50 cents de baisse du PIB. L’effet récessif de la pingrerie étatique serait ainsi moins élastique que sa prodigalité. L’ennui, c’est que les statistiques commencent à tomber dans les pays qui ont été contraints à des coupes sauvages : le « démultiplicateur » qui en résulte serait, selon les cas, compris entre 0,9 et 1,7, ce qui est autrement plus douloureux. En témoigne l’évolution du PIB grec, qui s’est régulièrement contracté dans des proportions plus importantes qu’attendu. Les économistes du FMI ont tiré la sonnette d’alarme sur le sujet et souligné les dangers, à moyen terme, des politiques d’austérité – bien qu’ils soient, dans la plupart des cas, inspirateurs du scénario. Deux universités américaines ont fait plancher leurs équipes sur ce thème et obtenu des résultats réfrigérants (entre 1 et 2).

Si bien que tout inexpérimenté et gaffeur qu’il paraisse, notre gouvernement a peut-être fait un choix de court terme raisonnable en privilégiant le matraquage fiscal au détriment de coupes sombres dans les dépenses. Même si les hausses d’impôt ont aussi un impact dépressif sur l’activité, même s’il faudra un jour réduire la voilure budgétaire, et même si toutes les privations infligées aux citoyens n’empêcheront pas la crise en cours de finir en eau de boudin. Difficile également de juger si les prévisions de croissance, qui ont servi à l’élaboration du budget, sont ou non pertinentes (0,8% en 2013) : le Gouverneur de la Banque de France juge poliment que cette performance n’est pas « improbable ». Le FMI, de son côté, divise par deux une telle espérance. L’OCDE s’alarme du « dangereux cocktail » que représente la faiblesse (ou l’absence) de croissance, la forte poussée du chômage et… les inégalités de revenus – autant de constats pertinents même s’ils ne sont pas nouveaux. Dans un tel contexte, il est charitable de se montrer indulgent à l’égard des prévisionnistes : leur travail n’est déjà pas simple en temps normal. Mais par les temps qui courent, ils sont incapables de prévoir s’ils seront encore en poste le mois prochain. Alors, pronostiquer la croissance française au dixième de pourcent près, c’est mission impossible.

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