Compétitivité : en attendan

Compétitivité : en attendant Gallois

Le thème de la compétitivité était déjà présent dans les discours de campagne du candidat Hollande. Sans doute la thématique lui avait-elle été soufflée par Louis Gallois, chargé d’un rapport sur le sujet. Son contenu est encore inédit. Mais il est possible d’en deviner les contours.

C’est le 5 novembre que sera officiellement remis, au président de la République, le rapport sur la compétitivité commandé à Louis Gallois. Il est probable que l’Elysée en ait eu connaissance bien avant cette date, probable également que son auteur ait largement briefé sur le sujet le candidat Hollande avant la campagne présidentielle. Ce dernier peut donc annoncer sans risques que l’élaboration du « pacte de compétitivité », préféré au « choc » qui rappelle trop la célèbre Stratégie du choc de la journaliste Naomi Klein, les travaux, donc, débuteront dès le 6 novembre sur la base dudit rapport – ce qui ne laisse pas trop de temps aux participants pour en prendre connaissance… Mais le profil personnel de Louis Gallois se trouve parfaitement adapté à la situation. Car le thème de la compétitivité est abordé par les syndicats avec une méfiance compréhensible, dès lors qu’elle est synonyme dans les esprits de « flexibilité du travail » et de « modération des salaires » (modération étant un euphémisme pour ne pas employer le terme provocateur de « baisse »). Or, Gallois connaît son sujet, pour l’avoir défriché en tant que haut fonctionnaire dans des secteurs-clés de l’économie (Direction du Trésor, Recherche, Industrie, Privatisations), puis en sa qualité de PDG de très grandes firmes (Snecma, Aerospatiale, SNCF, EADS). Il a gagné également son brevet de consensualité, pour avoir quitté son mandat à la SNCF sous l’hommage des syndicats. Et façonné son portrait de patron plutôt atypique : il considère comme excessifs les salaires actuels des dirigeants et aurait, dit la légende, versé à des œuvres une partie des rémunérations (excessives) perçues chez EADS. Bref, ses talents de manager lui valent le respect des patrons, et sa fibre sociale la confiance des salariés (il est président de la Fédération des associations d’accueil et de réinsertion sociale). Un CV inespéré pour le gouvernement, qui n’a pas eu, jusqu’à maintenant, une réussite très spectaculaire dans sa volonté de concertation et qui se heurte, avec la compétitivité, à des questions propres à soulever les passions.
N’ayant bénéficié d’aucune fuite, le chroniqueur est au regret de ne pouvoir gratifier son lecteur d’un quelconque scoop sur le rapport. Mais il est d’ores et déjà possible d’en deviner les contours. Car Louis Gallois préside La Fabrique de l’Industrie, un think tank créé il y a tout juste un an par des organisations patronales (dont l’UIMM, le célèbre syndicat de la métallurgie), un laboratoire d’idées consacré à l’industrie, ses problématiques et ses liens avec l’économie et la société.

Allemagne et compétitivité

Les travaux de La Fabrique méritent le détour [1]. Dans les publications récentes, on trouve en particulier une note de Jacqueline Hénard (essayiste et consultante) intitulée : L’Allemagne : un modèle, mais pour qui ?, constituant une synthèse éclairée des arguments de la réussite allemande. La note est préfacée par Louis Gallois, qui annonce la couleur du rapport attendu : « La compétitivité de l’industrie doit bien être perçue comme un objectif commun, servant l’intérêt du plus grand nombre, et non comme l’outil ou l’alibi du désir de certains de s’enrichir sans que tous en profitent. » Un avertissement sans frais qui est bien dans l’esprit du constat de Jacqueline Hénard : les Allemands n’ont pas de « modèle », entendons par là un schéma décidé d’en haut et distillé à la base. L’expression a en fait été fabriquée par les Français, experts en modélisation et prompts à centraliser. Ce qui n’est pas le cas de nos voisins, dont les Länder jouissent d’une très large autonomie et qui pratiquent une authentique concertation – avec pour objectif commun de servir l’intérêt de toutes les parties. La note rappelle que voilà dix ans, l’Allemagne était « l’homme malade de l’Europe », selon les termes mêmes d’un économiste d’outre-Rhin. La croissance française était alors supérieure, ce qui gonfla d’orgueil les autorités parisiennes. Mais depuis lors, la mise en place de réformes sévères, mais concertées, a hissé l’Allemagne au niveau qu’on lui connaît aujourd’hui. Tandis que notre pays régressait inexorablement. Selon la note, la réussite allemande est à la fois « enviable et inimitable ». Pour autant, on peut supposer que des facteurs expérimentés par nos voisins seront préconisés dans la rapport. Concernant notamment la flexibilité et le niveau des salaires : « Depuis 1999, les salaires ont augmenté de 41,7% en France, soit plus que le double de l’augmentation en Allemagne (19,2%). Les charges sociales, ’parmi les plus élevées d’Europe’, sont principalement en cause, pour le CEP de Freiburg comme pour COE-Rexcode ».

Sur la question des charges, l’orientation générale a déjà été confirmée par le Président Hollande lui-même. Pour les salaires, les négociations promettent d’être plus difficiles à conclure, la confiance réciproque entre syndicats (d’entreprises et de salariés) étant moins spontanée chez nous qu’en Allemagne, c’est le moins que l’on puisse dire. Tout dépendra des options qui pourront être retenues en vue de promouvoir les « petits salaires » (inférieurs au minimum légal), en vue de résorber le chômage galopant. Ce qu’ont fait les Allemands au motif défendable que « mieux vaut un travail moins payé qu’un chômeur à la maison ». Un succès incontestable en termes d’emploi. Mais au prix d’une explosion du nombre des working poors – les travailleurs pauvres : 7,3 millions en 2010. Soit 22% de la population active. Pauvres, mais plus riches que les chômeurs, dont les conditions d’indemnisation ont été laminées. Voilà donc l’essentiel probable du rapport Gallois.

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