Chine : le Forum de Dalian

Voilà maintenant sept ans que la Chine réunit son Forum économique – un clone régional de Davos. La presse occidentale ne s’y est guère intéressée, à l’exception de la Suisse. Il faut admettre que les observateurs n’ont que faiblement éclairé le contenu actuel du « modèle chinois ». Et pas du tout son inévitable évolution.

Peut-être avez-vous déjà visité Dalian, cette ville chinoise qui s’étale sur les rivages du Golfe de Corée et qu’affectionnent touristes et investisseurs des pays voisins – coréens et japonais, principalement. Dalian est un grand port de commerce, le premier pour le trafic d’hydrocarbures. C’est une ville industrielle, prospère et branchée, qui s’enorgueillit d’accueillir un Festival de la mode très couru. Et pour la septième année consécutive, le « Davos d’été », un clone du World Economic Forum suisse, spécialement ouvert aux pays émergents. Disons plutôt que la Chine y occupe un espace significatif, bien qu’elle ait désormais nettement émergé de la catégorie des jeunes pousses. Pour la plupart d’entre elles, les conférences s’y tiennent en mandarin. Ce pourquoi, sans doute, la presse française a superbement snobé ce Forum, alors qu’elle s’agglutine en masse à son grand frère de Davos. Le site Atlantico.fr a donné une autre raison à cette absence, en titrant ainsi une interview de l’économiste Michel Aglietta : « A Dalian, les émergents préparent le monde de demain pendant qu’à Davos, les développés radotent sur celui d’hier ». C’est plutôt bien vu, pour illustrer l’arrogance occidentale et sa conviction de conserver longtemps encore sa domination économique, quitte à exploiter sans vergogne le dynamisme des petits nouveaux.

Au contraire, journalistes et entrepreneurs suisses ont couvert l’événement, et le quotidien Le Temps [1] s’en est amplement fait l’écho. Le format de ce Forum est voisin de celui de Davos : s’y côtoient principalement grands patrons, personnalités politiques et experts en tout genre. On y fait des rencontres utiles pour le business et l’on y échange des convictions bien trempées, des doutes raisonnables et quelques prospectives stratégiques décapantes, histoire de justifier le prix des droits d’inscription inaccessibles au pékin.

La Chine en confiance

Il ne fait pas de doute que les élites du monde entier auraient avantage à prendre le pouls des décideurs, politiques et économiques, de la sphère chinoise. Il s’agit quand même de la deuxième économie de la planète, sa plus grosse usine et… la plus imposante cagnotte en bons du Trésor US. Et encore n’est-ce là qu’une étape intermédiaire : en dépit du ralentissement de l’activité, le PIB chinois progressera cette année de quelque 7,5%. Certes, c’est moins que la croissance à deux chiffres à laquelle le pays nous a habitués depuis de longues années. Mais c’est un rythme suffisant pour ravir bientôt la pole position à l’Oncle Sam. Il est donc très important d’essayer de comprendre comment les Chinois conçoivent et organisent leur avenir.

Si l’on en juge à la narration des observateurs suisses, les grands patrons n’ont rien à envier, en suffisance, à leurs homologues occidentaux. En réponse aux craintes exprimées par les experts étrangers, sur les risques auxquels l’économie chinoise serait exposée, la première fortune du pays - Wang Jianlin, patron de Wanda Group – ne fait pas dans la dentelle : « Ces craintes sont émises par des personnes qui viennent passer quelques jours ici, forment un jugement rapide et rentrent chez elles sans avoir compris le modèle chinois ! ». Ce qui n’est sans doute pas complètement faux. Car le « modèle chinois » n’est pas complètement déchiffrable par les observateurs extérieurs, en supposant qu’il soit limpide pour les autochtones…

Il s’avère en effet que les contraintes qui pèsent sur la Chine sont comparables à celles qu’ont connues les économies capitalistes, avec le multiplicateur imputable au gigantisme du pays. Le premier facteur qui vient à l’esprit, c’est la bulle immobilière, d’une taille qui ferait frémir n’importe quel dirigeant occidental. Mais pas les Chinois, au motif que 52% « seulement » de la population vit en ville (contre 75% en Europe) : la poursuite de l’exode rural est ainsi appelé à gommer les surplus actuels et à doper l’activité. L’urbanisation accélérée est de ce fait un objectif délibéré – comme il l’a été en Occident, avec les dommages collatéraux que l’on connaît. Sur le plan industriel, le ralentissement observé – avec ses conséquences préoccupantes sur l’emploi - n’inquiète pas davantage la personnalité officielle en charge du dossier, car la croissance « a fourni un bon indicateur de la santé du marché du travail, parce que l’emploi a longtemps été très corrélé à cette croissance. Or ce lien se relâche, et certains concentrent encore trop leur attention sur elle ». Une remarque pertinente, en phase avec la stratégie défendue par les autorités et, apparemment, suivie par les industriels : la recherche de compétitivité passe davantage par l’innovation que par la réduction des coûts (du reste, les salaires ont fortement augmenté). Ce qui justifie les énormes efforts publics en matière d’éducation, mais n’évitera sans doute pas les risques de chômage massif – et les remous sociaux qui vont avec. Comme chez nous…

Quant au système financier en surchauffe, les avis sont plus mesurés et les attentes plus prudentes. Sous réserve que les statistiques soient fiables, l’endettement global du pays (Etat + entreprises + ménages) représenterait aujourd’hui 200% du PIB environ, soit le niveau de l’Allemagne. La France, elle, se hisse à 260%. A cette aune, les Chinois sont fondés à ne pas dramatiser. En revanche, politiques, intellectuels et entrepreneurs sont unanimes sur la nécessité de réformer l’économie, « avec en priorité la stimulation du marché », selon le Premier ministre Li Keqiang. On en sait ainsi un peu plus sur la Chine, mais pas assez pour avoir tout compris…

deconnecte