Travail du salarié en dépit d’un arrêt maladie ou congé maternité : attention danger !
- Par Me Marion Wackenheim --
- Par Maître Eva Nabet --
- le 27 septembre 2024
Quand le fait pour un salarié d’avoir travaillé durant son arrêt de travail pour maladie ou congé maternité donne lieu à réparation automatique : la Chambre sociale ouvre une nouvelle brèche.
Selon une jurisprudence ancienne et bien établie, il était généralement admis, en cas de manquement de l’employeur à ses obligations légales ou conventionnelles, que ce manquement était considéré comme générateur d’un préjudice nécessaire dont le salarié n’avait pas à rapporter la preuve, ouvrant droit, automatiquement, à réparation indemnitaire.
Par un arrêt du 13 avril 2016, la chambre sociale de la Cour de cassation a mis un terme à cette jurisprudence antérieure dite du « préjudice nécessaire ». Ainsi et depuis cette décision, en cas de manquement de l’employeur, le salarié doit démontrer l’existence de son préjudice en apportant les éléments le justifiant à l’appui de sa demande de réparation. (Cass.soc 13-4-2016 n°14-28.293)
Ce principe n’est toutefois pas sans exception et la Chambre sociale admet régulièrement certaines dérogations à cette solution, permettant au salarié d’obtenir une indemnisation sans rapporter la preuve de son préjudice.
Cela a ainsi été reconnu en cas :
de perte injustifiée de son emploi par le salarié, (Cass. soc. 13-9-2017 n° 16-13.578)
d’absence de mise en place d’institutions représentatives du personnel ou de non -accomplissement des diligences nécessaires à leur mise en place dans le cadre d’une procédure de licenciement pour motif économique, (Cass. soc. 17-10-2018 n° 17-14.392)
de dépassement de la durée maximale quotidienne ou hebdomadaire de travail ou plus récemment en cas de non-respect du repos journalier du salarié prévu conventionnellement, entre 2 services. (Cass. soc. 7-2-2024 n° 21-22.809)
L’on constate qu’il s’agit de manquements d’une certaine gravité et qui affectent des droits fondamentaux du salarié. Et sur ce point la Cour de cassation vient encore d’étoffer cette liste avec de nouvelles dérogations à l’abandon de sa jurisprudence dite de réparation des préjudices automatiques.
Ainsi par plusieurs arrêts prononcés le même jour, la chambre sociale de la Cour de cassation juge que le seul constat :
du non-respect du temps de pause quotidien (d’une durée minimale de 20vmn dès 6 heures de travail) ouvre droit à réparation, (Cass.soc 4.09.2024 n° 23-15.944)
du manquement de l’employeur en ce qu’il a fait travailler un salarié pendant son arrêt de travail pour maladie ouvre droit à réparation, rappelant que l’employeur, tenu d’une obligation de sécurité envers les salariés, doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. (Cass.soc 04.09.2024 n° 23-15.944)
du manquement de l’employeur à son obligation de suspendre toute prestation de travail durant le congé maternité ouvre droit à réparation pour violation de l’obligation en matière de sécurité et de santé au travail rappelant la nécessaire protection de la santé de la femme enceinte et de préservation de ses liens avec l’enfant, protection assurée par le congé maternité pendant lequel le Code du travail interdit expressément d’employeur la salariée. (Cass.soc 04.09.2024 n° 22-16.129),
Par la reconnaissance de ces deux dernières exceptions, la Cour de cassation déroge, pour la première fois, à l’abandon de la notion de préjudice nécessaire en matière de suspension du contrat de travail pour cause de maladie ou pour cause de congé maternité. Cela n’a toutefois rien d’étonnant étant rappelé que durant l’arrêt pour cause de maladie ou cause de maternité le contrat de travail du salarié est suspendu et qu’il est, par conséquent, fort logiquement interdit pour l’employeur de faire travailler les salariés concernés durant une telle période. Un tel manquement peut être considéré comme un manquement suffisamment grave pouvant justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail du salarié.
Quant à la sanction automatique du non respect du temps de pause du salarié, cette dernière s’inscrit dans la lignée de la reconnaissance d’un préjudice nécessaire en cas de dépassement des temps de travail quotidien ou encore hebdomadaire précédemment jugés par la Cour de cassation.
D’une manière plus large, ces dernières dérogations s’inscrivent dans la volonté de la Cour de cassation de ne pas laisser sans sanction la violation d’une norme européenne ou internationale et ainsi la priver de toute effectivité étant rappelé que depuis 2022 la Cour de cassation reconnaît la réparation automatique de la violation par l’employeur d’une disposition de droit interne prise en application d’une règle européenne ou internationale afin d’en assurer l’application effective.
En d’autres termes l’on pourrait considérer que, dès que le manquement en question de l’employeur pourra être rattaché à la violation d’une norme européenne ou internationale, cela devrait aboutir à un nouveau cas de reconnaissance automatique de préjudice.
Tout cependant n’est pas préjudice nécessaire et la Cour de cassation refuse toujours cette reconnaissance :
En cas de défaut d’organisation d’une visite médicale, (la salariée ne justifiant en l’espèce d’aucun préjudice, du fait de l’absence de suivi médical et de visite de reprise à la suite de son congé maternité) (Cass.soc 04.09.2024 n° 22-16.129)
En cas de défaut par l’employeur de certains documents (en l’espèce s’agissant du défaut de remise de l’attestation d’exposition à certains agents chimiques et cancérigènes ainsi que d’une remise tardive de celle relative à l’amiante, la preuve d’un quelconque préjudice n’étant pas rapportée) (Cass. soc. 4-9-2024 n° 22-20.917)
Ainsi l’occasion pour la Cour de Cassation de rappeler que, même si l’employeur est tenu d’assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des salariés, le salarié qui souhaite faire valoir un manquement de l’employeur en matière de suivi médical doit prouver qu’il a subi un préjudice s‘il souhaite être indemnisé.
Ce positionnement de la Cour de cassation ne dédouane pas pour autant l’employeur de toute responsabilité en cas de manquement et la possibilité d’une indemnisation reste évidemment ouverte, selon les principes de droit commun : la reconnaissance d’un préjudice et son évaluation seront ainsi laissés à l’appréciation souveraine des juges du fond.