Preuve illicite : Recevable dans certains cas
- Par Jean-Michel Chevalier --
- le 25 septembre 2024
La Cour de cassation a bouleversé le régime probatoire en matière civile en admettant la recevabilité d’une preuve obtenue de manière déloyale. Ainsi l’enregistrement, réalisé à l’insu de l’employeur, est susceptible d’être utilisé pour prouver des faits de harcèlement.
Un exemple, le contexte
Une salariée recrutée en qualité de secrétaire, puis de secrétaire comptable, avait été arrêtée après un accident du travail. Elle avait repris dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique avant d’être licenciée pour cause réelle et sérieuse. Devant le conseil de Prud’hommes, elle a demandé des dommages et intérêts pour harcèlement moral et licenciement abusif, estimant avoir été placardisée après avoir repris son travail à mi-temps en ne se voyant lui être confié que des taches subalternes. Elle a expliqué qu’avant son licenciement, l’employeur a tenté de lui imposer une rupture conventionnelle, la menaçant et faisant pression sur elle.
La salariée a enregistré l’entretien à l’insu de ce dernier. La retranscription de l’enregistrement a été présenté comme moyen de preuve par la demandeuse, l’employeur demandant que ce document soit écarté des débats en raison de son caractère déloyal.
Preuve « licite et loyale »
En principe, dans un procès civil, la preuve doit en être licite et loyale. Mais, note la CFDT, sous l’impulsion du droit européen, « la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence. En 2020, elle a admis la recevabilité d’une preuve illicite » (par exemple, l’extrait d’un système de vidéosurveillance installé dans l’entreprise de manière illicite « lorsque cette preuve est indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et que l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence est strictement proportionnée au but poursuivi ». Mais elle continuait toutefois de rejeter le procédé de preuve obtenu déloyalement.
« Dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats » estime la Cour de Cassation depuis 2023. C’est ainsi que l’Assemblée plénière a fixé la méthode s’imposant aux juges du fond quant à l’admission de la preuve illicite ou déloyale : il revient au juge d’apprécier si une telle preuve porte « une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence ». La preuve doit être indispensable pour faire valoir ses droits (l’élément produit doit être le seul permettant de prouver le fait allégué) et l’atteinte aux autres droits doit être strictement proportionnée au but poursuivi.
Elle doit être « indispensable »
Dans cet exemple de la personne licenciée, les juges prud’homaux et la cour d’appel ont écarté l’enregistrement des débats et débouté la salariée de ses demandes car, pour eux, elle avait d’autres choix que d’enregistrer l’entretien pour prouver la réalité du harcèlement. Mais pour la chambre sociale, il appartenait à la cour d’appel « de vérifier si la production de l’enregistrement […] effectué à l’insu de l’employeur, était indispensable à l’exercice du droit à la preuve du harcèlement moral allégué, au soutien duquel la salariée invoquait, au titre des éléments permettant de présumer l’existence de ce harcèlement, les pressions exercées par l’employeur pour qu’elle accepte une rupture conventionnelle, et, dans l’affirmative, si l’atteinte au respect de la vie personnelle de l’employeur n’était pas strictement proportionnée au but poursuivi ».
Pour la rue Royale, la cour d’appel aurait donc dû vérifier si d’autres éléments de preuve étaient susceptibles de caractériser les faits de harcèlement, et en particulier les pressions exercées par l’employeur afin de lui faire accepter un départ en rupture conventionnelle. Sur ce point, l’enregistrement semble difficilement contournable en l’absence de témoin. Il était donc recevable.
C’est une preuve obtenue à l’insu de la partie adverse, par le biais d’une manœuvre, d’un stratagème ou d’un piège (enregistrement téléphonique sans consentement, capture d’écran d’une messagerie privée, filature, traceur GPS, mouchard informatique, etc.)
En revanche, ce n’est pas le cas lorsqu’il est évident que les éléments sont enregistrés, comme les SMS ou les messages vocaux par exemple. Dans ces cas, l’employeur est présumé consentant à ce que les preuves soient récoltées et celles-ci peuvent être utilisées dans le cadre d’un contentieux, sans condition.
Textes de référence
Cass.soc. 10.07.2024 n° 23-14.900.
Cass.soc. 25.11.20, n° 17-19.523 ; Cass.soc., 10.11.21, n° 20-12.263Cass.soc. 23.05.07, n°06-43.209 ; Cass.soc 06.02.13, n°11-23.738.
Cass.ass.plen. 22.12.23, n°20-20.648 ; Cass.soc. 17.01.24, n°22-17.474.
Source : service juridique CFDT